Peur d’enseigner et peur d’apprendre, deux phénomènes au cœur de la réflexion de Serge Boimare, psychopédagogue, qui travaille sur l’échec scolaire et les moyens d’y remédier. [Fenêtres sur cours], la revue du SNUipp, l’a interrogé à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage.
Après la peur d’apprendre, vous vous intéressez à « la peur d’enseigner ». Pouvez-vous expliciter cette formule ?
La peur d’enseigner* est un sentiment développé par certains enseignants, sentiment qui s’alimente et s’amplifie au contact des élèves au comportement difficile. Il est d’autant plus fort qu’il repose sur une formation indigente qui n’a pas prévu ces complications de métier. Cette peur amène les professeurs à se protéger et pour cela il existe deux voies privilégiées : le déclenchement d’une autorité excessive avec le besoin d’encourager les clivages, la compétition, et une approche démagogique marquée par l’abandon des contraintes et des exigences que supposent l’apprentissage.
Qui sont ces élèves au comportement difficile ?
Les élèves dont je parle ont un comportement marqué par l’agitation, l’instabilité et des difficultés d’apprentissage. Souvent, ils ont peur d’apprendre et sont empêchés de penser. Ces enfants mettent en place des stratégies d’évitement du temps de l’élaboration qui va avec l’ apprentissage. Ils cassent en permanence la bonne démarche pédagogique qui fait place à l’expérimentation, à l’hypothèse car elle les déstabilise. Ils ont par ailleurs une curiosité déroutante car elle est ’’primaire’’, au sens où elle est centrée sur le personnel et poussée par des ressorts infantiles comme la mégalomanie et le voyeurisme. Enfin, le langage qu’ils utilisent est difficile à exploiter car il ne franchit pas le seuil de l’argumentaire, ce qui explique les passages à l’acte et la violence.
Pour vous, les réponses peuvent-elles se trouver dans la classe ?
Oui, car il faut faire avec eux. La principale proposition que je fais aux enseignants est de consacrer chaque jour, une heure du temps scolaire au nourrissage culturel et à l’entraînement à l’expression (parler et écrire). Cela se décline ainsi : faire 20 mn de lecture à haute voix de textes culturels comme les grands mythes. Ce procédé sécurise et enrichit leurs représentations. Puis, pendant 20 mn, il s’agit de les entraîner à parler, à débattre. C’est par ce biais que la capacité à penser se restaure. Dans un troisième temps, on emploie les 20 dernières minutes à encourager l’écriture. Cet apport culturel est ensuite utilisé pour donner du sens et des racines aux savoirs fondamentaux.
Et les bons élèves dans tout ça ?
A Genève où j’ai expérimenté ce travail les premiers servis sont les bons élèves. Ils sont les premiers à réagir car ils sont déjà prêt pour ce type de démarche et ils ne s’ennuient plus. Mais plus important, cet apport culturel permet de créer dans la classe un patrimoine commun qui donne une unité au groupe. Réussir à créer une cohésion groupale est un des points les plus importants en pédagogie. C’est un ressort pour un apprentissage pour tous, or souvent la peur d’enseigner pousse au contraire à marginaliser les élèves qui dérangent. Autre avantage, la culture permet de traiter avec la curiosité primaire et de la dépasser. C’est un ressort vers l’universalisme que n’autorise pas le simple récit anecdotique.
Vous parlez du risque de repli sur soi, le travail en équipe n’est-il pas aussi un levier face à la peur d’enseigner ?
Bien sûr et il n’existe pas de meilleure formation que la co-réflexion entre enseignants. Elle permet de se soutenir mais aussi de mutualiser, d’expérimenter, d’intégrer les nouveaux... Mais cela peut faire peur. De mon point de vue, il faut consacrer deux heures par semaine à la réflexion sur la démarche pédagogique et reconnaître ces heures dans l’emploi du temps. Quand on les met en place, les enseignants ne veulent plus s’en passer.
Mais l’école peut-elle faire face seule ?
Pour les 15% des élèves qui résistent à notre pédagogie, on peut estimer que 5% d’entre eux ont des problèmes psychologiques sérieux qui nécessitent une aide en dehors de la classe. Les RASED, les CMP, les CMPP ont une carte importante à jouer. Il est nécessaire de le redire à un moment où certains veulent les supprimer. Mais la confrontation avec ces difficultés graves demandent encore davantage aux enseignants. Ils ne doivent pas avoir peur de faire des propositions nouvelles à ces enfants pour qu’ils continuent à progresser et à s’intéresser à ce qui se fait dans la classe.
*Serge Boimare, La peur d’enseigner, Dunod, 162 p., 2012.
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