Le Monde.fr | 03.04.2012 à 10h21 • Mis à jour le 03.04.2012 à 10h21 Par Maryline Baumard
Les "évaluations de maternelle" ne s'appellent plus des évaluations, mais des outils d'observation des compétences. Le projet que voulait sortir le ministère de l'éducation, et dont Le Monde avait eu connaissance en octobre 2011, a été retravaillé avec des scientifiques. La banque d'outils à destination des enseignants a été discutée avec les représentants des syndicats enseignants. Et pourtant, avant même leur publication, le cadrage proposé par la circulaire de rentrée suscite encore un émoi. Pourquoi ? Un entretien avec le psychopédagogue Serge Boimare permet d'y voir plus clair. Ce dernier travaille avec des groupes d'enseignants et reçoit en cabinet nombre d'enfants confrontés à des difficultés d'apprentissages.
Etes-vous favorable ou opposé à une évaluation des élèves en grande section de maternelle ? Serge Boimare : Il faut des évaluations pour savoir où les enfants en sont. Mais je veux aujourd'hui insister sur la perversion qui s'insinue au cœur même des évaluations depuis quelques temps. Tant qu'on voudra s'en servir pour comparer le travail pédagogique mené dans une école, tant qu'on voudra comparer les enseignants à partir des résultats obtenus par les enfants, ou comparer les écoles entre elles, on n'arrivera à rien. Au contraire, on augmente comme cela la peur qu'ont les enseignants et on les pousse à faire bachoter les petits enfants pour qu'ils obtiennent de bons scores dans ce qu'ils appellent des "usines à cases".
Vous voulez dire que le sujet des évaluations a été politiquement tué avec cette idée qu'il faut en rendre les résultats publics ? Oui. A force d'entretenir la confusion sur ce qu'on veut en faire, on a créé un climat qui rend l'enseignant méfiant et l'acte d'enseigner plus difficile.
Et sur le fond, que penser des évaluations ou des projets qui circulent ? Je n'ai pas travaillé avec le ministère sur ce sujet. Mais je sais très bien sur quoi on construit les évaluations et les outils de remédiation. Le schéma est devenu très classique. Aujourd'hui les évaluations normalisent trop l'entrée dans les apprentissages. Elles ne tiennent pas compte du fait que deux enfants n'ont pas le même rythme. Et, il y a autre chose de plus ennuyeux : lorsqu'un enfant a des blocages, les outils qu'on lui propose sont toujours les mêmes. L'enseignant doit lui faire travailler l'apprentissage des lettres et des sons. Il doit lui faire découper les mots et les phrases. Mais ce n'est pas le bon remède. Il faut des propositions beaucoup plus globales.
Que faut-il donc pour qu'un enfant puisse apprendre à lire et à compter ? Plus que lui donner une conscience phonologique, il faut sécuriser son monde intérieur. Le détour par la culture permet cela. Souvent, les enfants peinent dans les apprentissages lorsqu'ils n'arrivent pas à donner sens, à poser une image sur le mot qui est écrit. C'est pour cela qu'il faut travailler sur la nourriture de ce petit monde intérieur, le sécuriser avant de décortiquer la langue et de faire de la phonologie à haute dose. Les enseignants le savent bien. Ils connaissent l'importance de la lecture d'albums, des récits, du travail qui part des préoccupations de l'enfant. Et ils aimeraient qu'on arrêt de les obliger à travailler sur le très court terme, à faire qu'à tel moment de l'année l'enfant connaisse son alphabet.... Tout cela se construit naturellement lorsque les bases sont là et que l'enfant est prêt.
http://www.lemonde.fr/ecole-primaire-et-secondaire/article/2012/03/30/halte-aux-evaluations-qui-normalisent-les-apprentissages_1678297_1473688.html
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